12 May 2010

Greece, Europe and the future after the EUR 750 billion eurozone bailout

My apologies for my English readers, but this is an updated version of last week's article I wrote and which takes into account the dramatic EUR 750 billion eurozone bailout that took place during the weekend. I will soon post articles in English again!

Il pourrait s’agir du titre d’une fable de La Fontaine, mais il n’en est rien, cet article n’ayant pas pour objet de finir par une morale, bien qu’il s’agisse d’une triste histoire.
1. La Grèce ou les faits sont tenaces
Depuis 6 mois, nous avons eu droit à une succession de déclarations concernant la Grèce, toutes niant l’évidence, jusqu’à ce qu’au cours de la dernière semaine d’avril les autorités de la zone euro finirent par se rendre à l’évidence que les marchés financiers n’allaient plus financer le déficit grec ad vitam aeternam, y compris à des taux prohibitifs: nous allions faire face à une crise de liquidité le 19 mai prochain, date à laquelle la Grèce doit rembourser EUR 8.5 milliards plus les fonds qu’elle doit lever pour financer son déficit, soit un total que j’estimais à EUR 10 milliards minimum. Une lecture attentive du « Stability and Growth Programme » (« SGP ») grec permettait en effet de douter des chances de succès du premier plan de sauvetage « eurozonien ». Markets & Beyond en a fait une analyse très fine .
Au cours du weekend du 1er mai, le FMI et les pays de la zone euro décidèrent de procurer à la Grèce des lignes de crédit bilatérales pour un montant de EUR 110 milliards sur 3 ans, correspondant aux besoins de financement escomptés, au taux de 5% (soit très sensiblement inférieur au marché qui se situait à 9% le 30 avril sur la dette à 10 ans). Mardi, la Grèce a demandé que EUR 20 milliards soient débloqués. Remarquons que si la crise de liquidité était évitée, il n’en est rien de l’insolvabilité du pays: la Grèce ne sera pas en mesure d’honorer ses obligations car elle a dépassé le point de non retour sous le poids de sa dette.
Ce plan de sauvetage, s’accompagne en effet de mesures d’austérité supplémentaire s’élevant à EUR 30 milliards étalées sur 3 ans qui immanquablement pèseront sur le pouvoir d’achat des Grecs et donc la croissance du PIB. Et ceci intervient alors que la mutation d’une économie basée sur la consommation en une économie tournée vers l’investissement et l’exportation prendra, si elle se traduit par un succès, plusieurs années et probablement au-delà d’une décennie.
J’émettais donc de sérieux doutes sur les chances de succès de ce plan de sauvetage, dont l’ampleur était pourtant inédite au plan mondial, car il lui manquait deux ingrédients principaux: la croissance du PIB et la sortie de l’euro afin de dévaluer pour retrouver rapidement de la compétitivité.
Ainsi, nombreux étaient les observateurs qui tablaient sur une baisse de 4% du PIB en 2010, chiffre d’ailleurs retenu par le gouvernement grec depuis le week-end du 1er mai après des mois de déni… J’avais tout autant de mal à concevoir comment la Grèce aurait pu réduire son déficit à 3% du PIB en 2012. Je ne perçois pas plus aujourd’hui comment elle réussira à atteindre cet objectif, malgré le sursis de deux années obtenu.
A la lumière des nouvelles données, la dette supplémentaire cumulée en quatre ans s’élèverait à EUR 121 milliards, soit en 2013 une dette totale de EUR 394 milliards, un ratio dette/PIB de 170% et un déficit budgétaire d’environ 14% du PIB! Le paiement des intérêts de la dette passera de 5.6% du PIB en 2010 à 4.4% en 2013, soit un pourcentage largement supérieur à la progression de la richesse nationale de la Grèce sur la période.
Le plan de sauvetage risque fort de se terminer en une spirale déflationniste qui ne permettra pas à la Grèce de sortir de son surendettement mais au contraire aggravera sa situation. Seul le rétablissement de sa croissance lui permettrait de restaurer durablement ses finances publiques; or sa participation à l’euro obère pour le moins ses chances de réussite.
Le plan de sauvetage proposé le week-end du 1er mai avait-il des chances de succès? A l’évidence, non, car, outre les éléments évoqués plus haut, il ne s’attaquait qu’à la crise de liquidité de la Grèce (et non à son insolvabilité) et il ignorait que d’autres pays de la zone euro étaient dans une situation précaire tout comme de nombreuses banques européennes détentrices de dette souveraine dévaluée. Rien n’est résolu sur le fond.
2. L’Europe ou panique à bord
Après que les investisseurs eussent rapidement estimé, avec raison, que le plan de sauvetage n°1 n’avait aucune chance de succès, vint le weekend dernier le plan de sauvetage n°2 dans une ambiance de panique, le système bancaire européen se trouvant en grande difficulté avec les quelques centaines de milliards de dette « pourri » grecque, espagnole, portugaise, irlandaise et italienne que détiennent les banques européennes dans leur bilan. Le rallye du secteur bancaire sur les bourses européennes lundi (+ 18%) est symptomatique d’un soulagement profond.

S’étant rendus à l’évidence, que le problème grec n’est que l’épiphénomène d’une difficulté qui touchait de nombreux autres pays de l’eurozone, les Ministres des Finances réunis au sein de l’Ecofin ont décidé de mettre en œuvre un plan de sauvetage de EUR 750 milliards soit plus de 3 ans PIB grec… On peut le qualifier par de nombreux adjectifs -colossal, titanesque, gigantesque, démesuré, prodigieux, … -, une chose est certaine il est d’une ampleur sans précédant. Ce plan se répartit comme suit :
  • EUR 60 milliards sur ressources propres de l’UE.
  • EUR 440 milliards en fonds ou garanties apportés par les États de l’eurozone.
  • EUR 250 milliards apportés par le FMI (50% du total de l’aide européenne).
Ces sommes s’ajoutent aux EUR 110 milliards d’aide à la Grèce décidés le weekend du 1er mai. Nous sommes donc à un total de 860 milliards! Je n’ai ni lu ni entendu nulle part quelle sera la séniorité des prêts bilatéraux de l’eurozone et du FMI par rapport à la dette existante, question pourtant ô combien importante… En effet, en cas de faillite, qui seront les derniers à être remboursés: Les Etats prêteurs, le FMI ou bien les investisseurs?
Outre ces facilités, la BCE est autorisée à intervenir sur le marché secondaire de la dette publique et privée, autrement dit de se porter acquéreuse de titres dont les investisseurs ne veulent pas (il semblerait que le Président de la Deutsche Bundesbank ait marqué son désaccord sur ce point). Il s’agit là non seulement d’un transfert du risque vers la BCE, mais également de la fin de son indépendance du pouvoir politique ce qui risque dans l’avenir d’avoir des répercutions qui sont insoupçonnées aujourd’hui: malgré la sémantique, la BCE soutient bien des Etats en faillite, ce qui est contraire à sa chartre fondatrice. Il en va de même du Traité de Maastricht dont l’esprit, voire la lettre (sujette à interprétation), est violé. Il est vrai que le Pacte de stabilité n’a été respecté que par quelques pays, sans que personne ne s’en émeuve vraiment ni à Bruxelles, ni dans les cénacles politiques. Nous en voyons le résultat aujourd’hui…
Enfin, les banques centrales américaine, canadienne, suisse, britannique et la BCE ont convenu de rétablir des facilités temporaires d'échange de devises en dollars, dans le but de faciliter l’accès des banques européennes à des liquidité en dollar. En effet, vendredi en particulier, de fortes tensions étaient réapparues sur le marché interbancaire qui laissaient craindre un assèchement en liquidités.
Ces mesures se sont accompagnées de nombreuses déclarations fustigeant les boucs-émissaires habituels: les spéculateurs (en fait des gestionnaires qui ont un devoir fiduciaire vis-à-vis de leurs clients) et les agences de notation qu’on a qualifié de laxistes lors de la crise du subprime. Les pays membres de l’euro ont cependant voulu lancer un signal fort: l’euro sera défendu coûte que coûte. Mais tout ceci sera-t-il suffisant? On peut en douter.
S’il est vrai que l’Europe gagne du temps, en assurant le refinancement des échéances à venir de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne, il n’en demeure pas moins qu’au fond rien n’est résolu car si on règle un problème de liquidité, on ne règle pas le problème de solvabilité de plusieurs pays de la zone euro, c’est-à-dire leur capacité à rembourser leurs emprunts à l’échéance. La réelle difficulté est d’une part l’excès de dette et de dépenses publiques couplé à une faible croissance et d’autre part un manque de compétitivité de plusieurs économies de la zone euro. Ce que les marchés ont exprimé, c’est une défiance dans la capacité de l’Europe à se réformer en profondeur afin qu’elle retrouve une croissance au moins à parité avec les autres pays industrialisés. Et la monnaie unique continuera à subir des pressions jusqu’à ce que la crédibilité de la zone euro soit durablement rétablie.
Il y a plusieurs raisons à cela.
Tout d’abord, depuis des années, des déficits publics galopants qui risquent de ne pas se résorber ou bien extrêmement lentement, malgré les mesures d’austérité récemment annoncées. Ces déficits ne prennent par ailleurs pas en compte le financement futur des régimes de retraite d’une population européenne vieillissante.
Ainsi, le Portugal a une histoire budgétaire très similaire à la Grèce avec des déficits successifs y compris lorsque la croissance était au rendez-vous. Si la Grèce est le pays européen qui entre 2002 et 2008 a présenté le déficit le plus important de ses finances publiques avec 5.5%/an, le Portugal venait juste derrière avec 4.5% et la France en troisième position avec 3.9%. On discute beaucoup du problème espagnol mais peu de la question française qui pourtant mériterait qu’on s’y penche très sérieusement. Et je ne mentionne pas l’Italie…
Ensuite, la difficulté d’accompagner les mesures d’austérité et les réformes de fond d’une dévaluation de l’euro afin de redonner une compétitivité immédiate aux pays concernés. Il y a, il est vrai, une contradiction propre à la zone euro: toute dévaluation profiterait également aux pays fortement exportateurs comme l’Allemagne et ne résoudrait donc en rien les déséquilibres économiques qu’elle nourrit en son sein. Se pose donc bien la question de la pérennité de la zone euro dans sa configuration actuelle.
Enfin, la construction d’une monnaie unique sans convergence des politiques fiscales et sociales est une utopie; l’élaboration de critères de convergence sans perte de souveraineté est une illusion lorsqu’on mélange des économies aussi différentes que celles de la Grèce ou du Portugal avec celles d’Allemagne ou de Hollande: le « one-size-fits-all» ne fonctionne pas sans la mise en place de mécanismes automatiques de sanctions dissuasives mais aussi de solidarité: tout le reste n’est que rhétorique. Ce sont des chimères qui coûtent cher non seulement au plan intra-européen avec la tragédie grecque qui se déroule sous nos yeux, mais plus encore sur la scène internationale où la marginalisation de l’Europe est malheureusement en marche accélérée et sa crédibilité largement entamée. Il faut revenir à des principes et mettre en place les dispositifs qui assurent que ces principes seront respectés par tous.
3. Le futur ou le phénix renaîtra-t-il de ses cendres?
L’Europe, ou plutôt la zone euro, est à la croisée des chemins: le discours officiel réfute toute idée d’un défaut de la Grèce mais la réalité des faits est insurmontable, d’autant plus que les autres pays de l’eurozone sont sujets à des situations budgétaires extrêmement délicates qui requièrent également des mesures d’austérité dans un contexte économique qui ne permet aucune flexibilité (il est assez illogique de demander aux pays déjà en situation difficile d’emprunter pour prêter à la Grèce: le bon sens a laissé la place à une solidarité dogmatique. Bref, tout ceci fait penser à un « Ponzi scheme »); avec le nouveau plan de sauvetage, la charge totale des prêts bilatéraux qui incomberait aux pays non-récipiendaires représente des chiffres considérables (et je ne compte pas la quote-part de chacun dans le FMI): EUR 117 milliards pour l’Italie, EUR 133 milliards pour la France, EUR 22 milliards pour la Belgique et l’Allemagne sera engagée à hauteur de EUR 178 milliards. Bien sûr, les Etats en question espèrent que ces lignes de crédit ne seront pas tirées: tout comme pour le plan précédent, espoir vain.
Les pays de la zone euro ont une quadrature du cercle à résoudre: réduire les déficits budgétaires et la dette dans un environnement économique atone qui risque de se dégrader avec les mesures d’austérité annoncées, tout en étant prisonnier d’une politique de l’euro fort conséquence des négociations qui ont conduit à la création de la BCE dont la seule mission est la stabilité des prix. Le risque est grand que les pays de la zone euro s’engagent dans des politiques déflationnistes, suivant en cela la Grèce.
Il est grand temps que débutent des discussions entre le FMI, les pays de la zone euro, les créanciers, la Grèce, le Portugal et l’Irlande voire l’Espagne afin de préparer un rééchelonnement de leur dette (ce qui éviterait de prononcer le mot honni de faillite même s’il ne s’agirait que de sémantique – de toutes façons la Grèce est techniquement en faillite). Car la période des faux-semblants est désormais passée et il faut prendre à bras-le-corps le problème afin de le résoudre et éviter qu’il ne s’étire en longueur et ne s’amplifie.
Que les dirigeants européens respirent une bonne bouffée d’air et changent la façon dont l’Europe s’édifie depuis les Traités de Maastricht et de Nice, sinon le rêve des pères fondateurs de l’UE risque de se transformer en cauchemar: plus de réalisme et moins de dogmatisme feraient du bien. EUR 750 milliards paraît une somme colossale mais elle est à mettre en face de la dette des 12 plus grands débiteurs de la zone euro avec plus de EUR 7.000 milliards de dette étatique.
La construction de l’euro fut faite de consensus et non d’efficacité: ce fut une union monétaire sans union fiscale, un des piliers qui manque à la pérennité de la monnaie unique. Des règles furent créées par et pour des pays que peu suivirent. Ce n’est pas une instance européenne qui a sifflé la fin de la partie mais les marchés, et en cela il faudrait plutôt les remercier que de les critiquer sans cesse et souvent à mal-escient.
Je souscris à la déclaration récente de François Fillion, Premier Ministre français, lorsqu’il dit: « Si on veut avoir la même monnaie, si on veut continuer à faire de l'Europe une zone de prospérité, notamment pour se défendre contre la montée des économies des pays émergents, alors, il faudra bien que nous harmonisions progressivement nos systèmes économiques et nos systèmes sociaux. » Mais comme toujours, le diable est dans les détails…
L’antagonisme entre les deux « moteurs » de la construction européenne, l’Allemagne et la France, malgré les sourires de façade, devient de plus en plus visible: nous retrouvons là la vieille opposition pour la domination de l’Europe continentale (heureusement pacifique de nos jours) entre l’Europe romane et gallicane d’une part et l’Europe hanséatique d’autre part. L’Allemagne a pris un avantage certain sur la France, avantage qui résulte non seulement de sa puissance économique et démographique mais également de son émancipation suite à sa réunification: l’Allemagne est redevenue un pays ordinaire après 60 ans de purgatoire. L’Europe (budgétairement) vertueuse s’étend de l’Autriche à la Finlande en passant par la Flandre selon un axe Nord/Sud dont l’Allemagne est le centre. Tous les efforts français pour déplacer le centre de gravité vers Paris, notamment avec la tentative de création d’un espace Méditerranéen, ont échoué. Dans cette crise grecque, l’Allemagne n’a pas hésité à montrer son désaccord profond avec la France sur la façon dont la Grèce devrait être traitée. L’Allemagne s’affirme de plus en plus sur la scène européenne, avant de s’affirmer sur la scène mondiale.
Ayons le courage de la vérité, aussi impopulaire soit-elle, afin de rétablir la crédibilité d’un discours qui n’en a plus, c’est ce qui fait la stature des Hommes d’Etat. Le pouvoir d’achat des peuples européens diminuera pendant plusieurs années jusqu’à ce que la crise du surendettement soit absorbée car seul ce surendettement a permis de masquer ce que la mondialisation des économies et l’absence de réformes de fond allaient entraîner: une pression déflationniste sur les salaires compensée par une augmentation des transferts sociaux ainsi que la croissance des actifs financiers et immobiliers résultat d’une progression non-maîtrisée de la masse monétaire, jusqu’à l’effondrement récent. L’Europe pour assurer une croissance future doit également se doter d’instruments agressifs favorisant la natalité qui est un des ingrédients vitaux de sa survie et de sa prospérité.
La seule dynamique de la construction européenne est devenue un objectif en soi qui a affiché son inefficacité. Ceci ne peut en aucun cas constituer un projet porteur d’avenir autour duquel peut se construire une communauté de destin.
Maintenant pensons l’inimaginable. Non pas que la Grèce quitte l’euro, mais que l’Allemagne prenne cette décision. Elle finance l’Europe, et en particulier depuis 40 ans la Politique Agricole Commune (46% des dépenses de l’UE) si chère à la France. Elle doit faire face à l’opposition du Président français Nicolas Sarkozy lors des discussions qui doivent conduire à sa modification à partir de 2013; ce dernier a décidé d’en faire un casus belli. Elle supporte depuis des années le manque d’orthodoxie budgétaire et la prodigalité des pays d’Europe du sud, France comprise. L’Allemagne réunifiée s’est rapprochée de la Russie et le centre de gravité de l’Europe s’est déplacé à Berlin. La population allemande commence à trouver que la solidarité à sens unique a duré assez longtemps. L’Allemagne pourrait donc être fortement tentée de revenir à une zone DM élargie aux 5 ou 6 pays européens vertueux sonnant ainsi le glas d’une eurozone mal en point et probablement le début de la refondation de l’Europe avec l’Allemagne comme pôle d’attraction et selon des critères allemands, au moins en matière d’orthodoxie budgétaire. Il s’agit là d’un scenario encore peu probable, mais pas impossible.
Que notre voisin germanique reste dans l’euro ou non, l’Europe ne sera plus ce qu’elle a été car elle a montré la faillite de son action collective: que cette crise soit une chance de rebâtir une Europe solide et prospère, éloignée des dogmes afin qu’elle puisse retrouver son rang dans le concert mondial des nations. Que l’Europe réfléchisse à la façon dont elle s’est édifiée depuis le milieu des années 80; qu’elle s’interroge sur son périmètre, sur son fonctionnement, sur ses déficiences, notamment en matière économique. Le redressement ne pourra passer que par un profond travail d’introspection.

Pascal Morin
Editeur
Markets & Beyond
http://marketsandbeyond.blogspot.com/
12 mai 2010