04 August 2011

Open letter to the President of the Eurogroup

In a follow-up of a letter written in March 2010 about the Greek rescue and following articles in the ensuing months, I wrote a new letter to Jean-Claude Juncker, the President of the Eurogroup and Prime Minister of Luxembourg, regarding the new rescue package for Greece and published in the Luxembourger Wort; for my English reader I will prepare an article in English in the coming days.

Lettre ouverte au Premier Ministre
Un an après

Monsieur le Premier Ministre,
En mars 2010 je vous écrivais une lettre ouverte soulignant l’inefficacité et l’échec prévisible du plan de sauvetage de la Grèce. Un an après, les faits m’ont malheureusement donné raison. Le nouveau plan de sauvetage (doublement des aides publiques à EUR 219 milliards) tel que décidé le 21 juillet n’a également aucune chance de succès: ce n’est pas en ajoutant de la dette à la dette qu’on résoudra un problème de surendettement et manque de compétitivité.
1. La zone euro de plus en plus dans la tourmente
Depuis le début du mois de mai la zone euro est revenue sur le devant de la scène médiatique, suite à la publication d’un article dans le «Der Spiegel» mentionnant la sortie de la Grèce de l’euro et la tenue d’une réunion secrète au Luxembourg à ce sujet: quelque soit  la rhétorique, seule demeure et seule compte la réalité des faits ignorés depuis trop longtemps dans la construction de l’Europe et de la zone euro en particulier.
Je suis surpris de la (fausse) naïveté avec laquelle les dirigeants européens ont pu croire convaincre les investisseurs que la Grèce (et le reste des PIGS[1]) était sauvée, comme s’ils étaient incapables de conduire une analyse objective de la situation et d’en tirer des conclusions.
Dans une situation de surendettement, aucun plan d’austérité, aussi draconien soit-il, n’a jamais réussi sans s’accompagner d’une restructuration de la dette (d’un défaut donc) et d’une dévaluation de la monnaie afin de rapidement rétablir la compétitivité de l’économie. On peut continuer à ajouter plan d’austérité sur plan d’austérité et privatiser afin de gagner du temps, mais sans rien résoudre au fonds c’est l’échec garanti; et j’émets de sérieux doutes sur la capacité de la Grèce de privatiser à hauteur de EUR 50 milliards dans le temps imparti.
Je suis encore plus surpris qu’on puisse penser qu’on soignerait un malade du surendettement en lui administrant encore plus de dette: l’overdose est toujours suivie d’un décès. Ce n’est pas d’un problème de liquidité dont souffre la Grèce, mais d’un problème de solvabilité.
J’ose croire que les équipes chargées de suivre les progrès du budget grec auront remarqué la façon dont la Grèce a grossièrement manipulé les chiffres en février et mars 2011, dissimulant un déficit de EUR 1.6 milliards supérieur aux montants annoncés, et pourtant les déclarations officielles se gaussaient du succès du plan d’austérité mis en œuvre. Au cours des 6 premiers mois de l’année, le déficit est de 23% supérieur aux prévisions[2], s’établissant à EUR 12.8 milliards, la dette s’élevant à EUR 358 milliards (+ EUR 18 milliards / fin décembre 2010 et +80% / au même chiffre du 1er semestre 2010).
2. Un problème de crédibilité
Après la politique du déni, la politique du bouc-émissaire: les agences de notation et toujours les spéculateurs qui seraient responsables de l’aggravation de la crise actuelle. Les commissaires européens Reding et Barnier se plaignent de la toute puissance des agences de notation anglo-saxonnes en occultant les raisons qui ont conduit à la dégradation (bien tardive) de la note grecque et des autres pays concernés; mais après tout, ils peuvent également consulter l’agence de notation chinoise Dagong qui est bien plus sévère (réaliste) que les Fitch, S&P ou Moody’s et a abaissé la note de nombreux pays occidentaux bien avant les agences précitées.
La crédibilité d’une agence de notation européenne ne sera établie que si elle est véritablement indépendante et non aux ordres de Bruxelles ou telle autre capitale - l’exemple donné l’année dernière par les «stress tests» des banques européennes était risible et pitoyable (rappelons que les banques irlandaises les avaient passés avec succès pour être en situation de faillite quelques mois après). Le résultat des «stress tests» publié le 15 juillet est à peine moins risible: les critères de résistance devaient être beaucoup plus sévères, mais point trop n’en faut! Ainsi, le défaut d’un pays européen ne fut pas pris en compte alors que ce fut admis de facto 6 jours après à l’issue de la réunion du Conseil de l’Union Européenne… Dans le cas le plus sévère, il ne manquerait selon l’EBA[3] que EUR 2.5 milliards de fonds propres pour 8 banques. C’est une douce plaisanterie! Ainsi, l’IIF[4] annonçait le même 21 juillet que la participation « volontaire » du secteur privé (principalement les banques) au deuxième plan de sauvetage représenterait une perte de 21%…
Ces tests n’avaient comme objectif que de convaincre les investisseurs que tout allait bien pour les banques françaises et allemandes; or avec un ratio dette PIGS / fonds propres de 21% chacune pour la Société Générale et BNP Paribas, et respectivement de 14% et 27% pour Deutsche Bank et Commerzbank, elles sont sous-capitalisées (les banques italiennes sont très peu exposées aux PIGS), et le temps «gagné» (perdu?) n’a pas été suffisant. Car au-delà de la Grèce, c’est l’ensemble des pays surendettés de la zone euro qu’il convient de prendre en compte (PIGS, Italie, France et Belgique). Le FESF[5] avec ses EUR 440 milliards de fonds serait dans l’incapacité de faire face à une instabilité touchant l’Espagne ou l’Italie, encore moins la France. A court terme la possibilité qui lui a été donné d’acheter de la dette souveraine permettra de desserrer l’étau autour de la BCE dont le bilan est extrêmement dégradé avec l’achat de dette des PIGS depuis mai 2010.
L’Europe a un sérieux déficit de crédibilité et rien d’efficace n’a été entrepris depuis la crise financière pour la renforcer. Or, une des tâches essentielles de l’Europe c’est d’asseoir sa crédibilité.
3. Un an après: une analyse similaire
L’austérité budgétaire se traduira par une augmentation très importante du chômage et des rentrées fiscales détériorées, corollaire d’une croissance économique moindre que les prévisions dont je soulignais l’optimisme béat; exiger des mesures d’austérité supplémentaires, certes nécessaires, ne changera en rien l’indispensable augmentation des recettes fiscales car l’équation a deux variables et ne s’attaquer qu’aux dépenses tuera un malade d’ores et déjà moribond. La Grèce (et pas seulement elle) a un problème de recettes fiscales qui est en partie due à une fraude institutionnalisée mais surtout à un manque de compétitivité et donc de croissance. Or la croissance du PIB provient de quatre sources: la consommation des ménages et des entreprises, l’investissement, les dépenses publiques et une balance commerciale positive. Comment peut-on donc espérer résoudre le problème sans s’intéresser sérieusement à ces quatre composantes?
Ainsi, le manque de compétitivité sur les marchés mondiaux continue à se traduire par un déficit de la balance commerciale: selon l’OCDE, USD 273 milliards cumulés depuis 2000 soit ~60 % de la dette actuelle, dette largement financée par les investisseurs étrangers, alors que l’Allemagne enregistrait USD 1.501 milliards d’excédents sur la même période. Depuis le milieu des années 2000, la balance commerciale des pays d’Europe du sud (France comprise) s’est fortement dégradée. Ce déséquilibre est une des causes du mauvais fonctionnement de la zone euro: l’Europe du sud a besoin d’un taux de change EUR/USD à 1.1 alors que l’Europe du nord se satisfait de 1.5. Nous avons un bloc allemand qui a entrepris des réformes de fonds depuis la deuxième moitié des années 90 et offre des produits industriels à très forte valeur ajoutée peu élastiques au prix, alors que l’Europe du sud s’est satisfaite d’une croissance basée sur la consommation; ainsi la France a-t-elle perdu 1/3 de ses marchés à l’export. Deux réalités économiques et sociales différentes cohabitent sous une même monnaie et il n’y a que deux solutions viables pour sortir de cette quadrature du cercle:
·        Le fédéralisme harmonisant les politiques sociales et fiscales, l’Europe du nord acceptant des transferts fiscaux massifs vers l’Europe du sud, transferts s’accompagnant d’une mise sous tutelle économique et budgétaire (au minimum) des Etats du sud, ces transferts ayant comme objectif principal de rétablir la compétitivité. N’oublions pas que le surendettement va toujours de pair avec une perte de souveraineté.
·        La sortie du bloc allemand de la zone euro, avec la coexistence de deux zones euro, l’une faible centrée sur la France, l’autre forte organisée autour de l’Allemagne.
Une troisième solution consisterait pour la BCE à suivre la FED et à ouvrir encore plus largement les vannes de la création monétaire, mais je doute que l’Allemagne puisse accepter cela tant qu’elle demeurera dans la zone euro. L’inflation est le moyen le plus simple pour régler une dette mais une échappatoire désastreuse à moyen et long terme.
Le défaut de la Grèce a été acté le 21 juillet par les Chefs d’Etat de la zone euro malgré la sémantique mais la logique n’a pas été poussée jusqu’à sa conclusion finale: organiser la restructuration de la dette en faisant porter le coût en priorité au secteur privé. Espérer qu’une croissance soudainement revenue dégageant des excédents budgétaires miraculeux résoudra la crise du surendettement est ignorer la réalité des faits. A ce sujet, et pour souligner l’irréalisme de la position actuelle des dirigeants de la zone euro, il faudrait à la Grèce une croissance du PIB supérieure à 20% par an pendant 10 ans afin de revenir au critère de Maastricht de 60% dette/PIB: bien sûr, ceci est totalement impossible.
En analysant les chiffres publiés par l’EBA, on s’aperçoit que les 90 banques étudiées ont dégagé EUR 77 milliards de profit après impôt en 2010 dont EUR 28 milliards versés en dividendes, chiffres à rapprocher des EUR 68 milliards de pertes en cas de défaut de la Grèce (EUR 200 milliards de pertes pour l’ensemble des PIGS sur la base d’un coût de restructuration de 50% - à noter que l’exposition des banques à la dette souveraine italienne est de EUR 286 milliards soit un chiffre équivalent à l’Espagne). Elles ont donc la capacité d’absorber un tel choc, même si certaines devraient être recapitalisées et d’autres purement et simplement mises en faillite.
Il est largement temps de mutualiser les pertes avec ceux qui en ont la responsabilité première, et de laisser le contribuable reprendre son souffle, sachant que de toute façon il épongera les dettes étatiques. Il est temps d’agir de façon convaincante car le cyclone se rapproche de la France et de la Belgique, l’Italie étant déjà touchée.
Une des bases du capitalisme est de responsabiliser les divers intervenants et les sanctionner quand il y a lieu, et c’est une des fonctions des marchés financiers et de ceux qu’on nomme avec effroi et mépris les spéculateurs, qui sont avant tout des investisseurs. Sans eux, rien n’aurait forcé les autorités européennes et les gouvernements à agir, jusqu’à la faillite brutale, et là nous serions engagés dans une aventure dont je préfère ne pas imaginer les conséquences. J’aurais donc tendance à leur en être gré plutôt que de les vilipender.
Il est grand temps d’agir de façon courageuse, réaliste, décisive et forte, c’est d’ailleurs ce qui différencie les Hommes d’Etat des politiciens. L’alternative est l’accélération de la paupérisation des européens, appauvrissement déjà bien engagé.
Je vous remercie, Monsieur le Premier Ministre, d’avoir accordé quelques minutes de votre temps à la lecture de cette lettre.
Pascal Morin
Markets & Beyond
http://marketsandbeyond.blogspot.com/
27/07/201
 




[1] Portugal, Irlande, Grèce, Espagne
[2] le double en prenant en compte la manipulation des chiffres du programme d’investissements publics
[3] European Banking Authority
[4] Institute of International Finance – l’association mondiale des institutions financières
[5] Fonds Européen de Stabilité Financière